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Faut-il éviter les déodorants qui contiennent des sels d'aluminium ?

Faut-il éviter les déodorants qui contiennent des sels d'aluminium ?

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Les sels d’aluminium, largement utilisés dans les déodorants depuis plus de 20 ans, n’ont pas bonne réputation. Ils sont souvent accusés d’être impliqués dans le développement du cancer du sein. Est-ce justifié ?
iStock.com/ LightFieldStudios

Ce sont des coupables idéals. En raison de la proximité entre le site d’application, les aisselles, et la poitrine, les anti-transpirants et les déodorants contenant des sels d'aluminium suscitent beaucoup d’interrogations quant à leur possible lien avec les cancers du sein. Pourtant, la communauté scientifique partage désormais un discours commun : les sels d’aluminium peuvent, sous certaines conditions, entraîner des mécanismes délétères. Cependant, en formulation dans un anti-transpirant ou un déodorant, les sels d’aluminium ne constituent pas un facteur de risque de développer une forme de cancers du sein. Retour sur plus de 20 ans de polémique.

Aluminium, sels d’aluminium et pierre d’alun : tous semblables ? 

Mais d’abord, de quoi parle-t-on ? Troisième élément métallique le plus présent sur terre, l’aluminium existe sous plus de 300 formes différentes en agglomérat, combiné à d’autres éléments chimiques. L’aluminium pur est extrait de la bauxite, une roche riche en oxydes de fer et alumine, par des procédés industriels. Les sels d'aluminium sont des complexes chimiques stables, composés entre autres d'un ou plusieurs atomes d'aluminium (Al)

Présents naturellement dans l’environnement et relargués par nos activités, nous sommes continuellement exposés à l’aluminium et ses dérivés, dans l’air, l’eau, l’alimentation (les modes de cuisson, les additifs alimentaires : E520, E541...), certains médicaments destinés aux brûlures d’estomac et remontées acides, certains vaccins pour entraîner une meilleure réponse immunitaire, certains cosmétiques (maquillage, dentifrices, anti-transpirants et déodorants)...

La principale voie d’exposition aux sels d’aluminium est l’ingestion (l’eau et les aliments). Pourtant, celle qui cristallise nos peurs est notre exposition via les cosmétiques et en particulier via les anti-transpirants et déodorants. Dans la liste des ingrédients (la liste INCI), on peut les repérer par leur dénomination : 

  • Aluminium chlorhydrate (ou chlorohydrate d'aluminium), le plus utilisé car le plus efficace pour limiter la sudation.

  • Aluminium chloride (ou chlorure d'aluminium).

  • Aluminium potassium sulfate, plus connu sous le nom de potassium d’alum ou encore pierre d’Alun. 

Ainsi, d’un point de vue purement chimique, la pierre d’alun est un sel d’aluminium. Qu’elle soit d’origine naturelle ou de synthèse, l’organisme n’y voit que du feu. C’est d’ailleurs le problème avec les substances chimiques qui miment l’action de nos hormones et qu’on appelle les perturbateurs endocriniens. 

Néanmoins, selon leur association avec d’autres molécules chimiques, les sels d’aluminium partagent des effets similaires à des degrés divers. Par exemple, ils sont tous classés irritants pour la peau mais à des niveaux très variables : d’une légère irritation pour les peaux les plus sensibles, à de véritables effets corrosifs. 

Quel est l’intérêt des sels d’aluminium dans les cosmétiques ? 

Plus de 50 substances composées d’aluminium ont été recensées par le Comité Scientifique de la Sécurité des Consommateurs. Ce conseil d’experts scientifiques indépendants est régulièrement sollicité par la Commission européenne pour statuer et émettre des recommandations sur des sujets préoccupants. 

Ayant des propriétés physico-chimiques variées, ces substances ou encore ingrédients répondent à divers besoins et sont principalement utilisés dans les dentifrices (pour leur effet abrasif), dans les rouges à lèvres (pour leurs effets fixateur et brillant) et comme anti-transpirants. En effet, les sels d’aluminium ont la capacité d’obstruer, partiellement et temporairement, les canaux des glandes sudoripares permettant ainsi de limiter la production de sueur. 

Parfois, une distinction est observée entre les déodorants et les antitranspirants. Les premiers ne contiendraient pas de sel d’aluminium car leur vocation première est de lutter contre les mauvaises odeurs en les éliminant ou les masquant. En réalité, la différence est uniquement lexicale et non juridique. Le règlement européen sur les cosmétiques ne différencie pas les deux termes. De plus, dans la formulation des produits étiquetés “déodorants”, on peut également retrouver des sels d’aluminium, car quel que soit le produit, pour être jugé efficace, les fabricants cherchent, à la fois, à limiter la sudation et masquer les odeurs. Seule la liste des ingrédients permet de connaître la composition exacte du produit.

Quels sont les liens entre les sels d'aluminium et les cancers du sein ? 

On généralise souvent en parlant du cancer du sein, mais en fait il existe des cancers du sein. Les plus rares, les formes familiales génétiques, et les plus agressifs, les cancers “triple négatifs”, ne sont pas des cancers hormonodépendants. Cela signifie qu'ils ne sont pas sensibles aux hormones. D’ailleurs les cancers “triple négatif” restent un défi pour le monde médical tant dans la prévention que dans le traitement. 

Les cancers du sein hormonodépendants sont les cancers du sein les plus fréquents. Leur développement est influencé par l’imprégnation hormonale. Or une femme, tout au long de sa vie, dès qu’elle est pubère, est exposée à ses propres hormones. Ainsi plusieurs facteurs influençant l'histoire hormonale d’une femme ont été identifiés comme pouvant augmenter le risque : des règles survenues avant l’âge de 12 ans et une ménopause après 55 ans, l’absence de grossesse et d’allaitement, ainsi que la prise de contraceptifs oestroprogestatifs ou de traitements hormonaux de la ménopause. À ces premiers facteurs inhérents de la vie d’une femme, viennent s’ajouter d’autres facteurs qui augmentent davantage le risque de développer un cancer du sein. C’est le cas de la consommation d’alcool, le tabagisme, la sédentarité et le surpoids. 

Le développement d’un cancer, excepté s’il est d’origine génétique, est toujours multifactoriel. Autrement dit, c’est l’accumulation de facteurs de risques et de nos prédispositions génétiques qui peuvent, à un moment donné, entraîner le développement de cellules anormales qui prolifèrent de manière anarchique : le cancer. Il n’est pas rare que des cellules anormales (non fonctionnelles) naissent et soient aussitôt éliminées, sans en être conscient, grâce à différents mécanismes, dont la participation du système immunitaire.

La question soulevée par les sels d’aluminium ? Ils seraient capables de mimer l’action de l’œstrogène et donc de participer à cette imprégnation hormonale. 

Une femme hésite entre deux déodorants au supermarché
iStock.com/sergeyryzhov

Des effets sur les glandes mammaires ?

Depuis la fin des années 1990, les études se sont multipliées pour mieux comprendre les mécanismes d’action des sels d’aluminium et notamment leur capacité à passer la barrière cutanée pour in fine évaluer le risque pour les utilisatrices de déodorants et d’anti-transpirants. Outre les effets décelés, c’est surtout l’exposition qui constitue le risque. 

L’aluminium et ses dérivés peuvent effectivement interférer avec les récepteurs de l’œstrogène. Ils sont classés dans la catégorie des métallo-oestrogènes, comme le plomb, le cuivre ou l’arsenic. Cette capacité à mimer l’action de l’œstrogène n’est pas rare dans la nature. D’autres éléments d’origine naturelle en sont également capables, c’est le cas des phyto-oestrogènes. L’un des plus connus est le soja. On retrouve aussi les noix et l’huile de colza par exemple. Naturellement produits par les végétaux, ils sont souvent utilisés comme compléments alimentaires pour traiter les symptômes de la ménopause. 

Alors est-ce que le fait de classer un composant chimique dans la catégorie métallo-œstrogène ou phyto-œstrogène en fait un élément cancérogène avéré ? La réponse est non, car le risque est lié au danger et à l’exposition. Les dangers de l’aluminium et de ses sels sont bien identifiés et diffèrent selon les voies d'exposition (ingestion, inhalation ou contact). Par contre, c’est dans l’évaluation de l’exposition que les études scientifiques divergent. Entre l’étude des populations (les études cliniques et épidémiologiques) et les études in-vitro en laboratoire, les résultats observés peuvent s’opposer. Les premières ne mettent pas en évidence de lien entre l’utilisation quotidienne d’anti-transpirants ou déodorants contenant des sels d’aluminium et un sur-risque de développer un cancer du sein, alors que les secondes mettent en évidence l’apparition de métastases (cellules cancéreuses).

Les études in-vitro ont beaucoup été décriées car elles ne représentent pas la réalité. Incuber des cellules mammaires de souris, 24h/24, dans un liquide concentré en aluminium ne reflète pas les conditions réelles, c’est-à-dire, une application quotidienne mais ponctuelle dans le temps, sur l’épiderme humain. En effet, outre les différences entre les espèces (souris et homme), c’est l'imprégnation des cellules mammaires aux sels d’aluminium contenus dans les anti-transpirants qui caractérise le risque. Or la quantité de sels d’aluminium qui peut être absorbée par une peau (rasée) a été évaluée à moins de 0,012%. Ensuite, la faible quantité de sels d’aluminium absorbée doit migrer des cellules épithéliales (de la peau) jusqu’aux cellules mammaires. Enfin, il faut que les cellules pré-cancéreuses dupent l'organisme pour ne pas être détruites avant de se multiplier. 

En parallèle, le travail mené par le Comité Scientifique de la Sécurité des Consommateurs a été décisif. Mandaté en 2014 par la Commission européenne pour réévaluer le risque, le comité n’a pas pu statuer faute de données suffisantes sur la capacité de l’épiderme à laisser passer les sels d’aluminium. En 2016, de nouvelles études cliniques sont menées sur des volontaires, afin de tester les déodorants et anti-transpirants en condition réelle d’utilisation. Parallèlement le Comité demande aux fabricants, de leurs côtés, de réévaluer également leurs produits. Le rapport final a été publié en mars 2020. Il indique qu’une fraction importante de l'anti-transpirant / déodorant est perdu en étant absorbé par le vêtement. Par conséquent, la fraction de sels d’aluminium pouvant passer le derme est évaluée à 0,00052%, soit 20 fois plus faible que l’indication donnée dans la fiche toxicologique de l’INRS. L'absorption effective des sels d’aluminium est donc très éloignée des situations observées dans le cadre d’études in-vitro.  

Des évaluations internationales

Bien qu’aucune instance sanitaire ne puisse conclure à l’absence absolue de risque, car le risque zéro n’existe pas, l’utilisation quotidienne d’un déodorant ou d’un anti-transpirant contenant des sels d’aluminium est désormais considérée comme sûre et n'augmente pas le risque de développer un cancer du sein.

L’avantage est que cette question est internationale et chaque pays, via ses instances respectives, a été sollicité pour apporter une réponse. Au Canada, par exemple, où l’on parle d’antisudorifiques, la Société Canadienne du Cancer précise qu’il n'existe aucun lien entre l’aluminium et le cancer du sein. Aux Etats-Unis, le National Cancer Institute conclut qu’il n’y a pas de preuve scientifique reliant l’utilisation de ces produits au développement d’un cancer du sein. Enfin, le Conseil australien sur le cancer et la Fondation du cancer du sein en Nouvelle-Zélande partagent les mêmes conclusions.   

Il n’empêche que l'appréhension du risque est une notion très personnelle, alors si vous souhaitez un déodorant ou un anti-transpirant sans sel d’aluminium, de nombreuses références sont désormais disponibles offrant un véritable choix aux consommateurs et consommatrices.  

Quelles sont les alternatives sans sel d’aluminium ?

De nombreuses marques de cosmétiques proposent des anti-transpirants et déodorants sans sel d’aluminium. D’efficacité variable, il faut pouvoir les tester sur plusieurs jours afin d’être sûr qu’ils soient adaptés à votre situation. Même si transpirer est un phénomène tout à fait naturel permettant au corps de se refroidir, l’odeur de notre transpiration est influencée par de très nombreux facteurs dont la quantité d’eau bue quotidiennement, l’alimentation épicée, notre profil plutôt sportif ou sédentaire, ou encore la présence de poils sous les aisselles. Nous sommes loin d'être égaux face à la transpiration !

En remplacement des sels d’aluminium, les formulations utilisent un mélange de poudres et de corps gras. Pour absorber l’humidité, les poudres végétales, le bicarbonate de soude, la farine de riz ou encore la fécule de maïs peuvent être utilisées seules ou en mélange. Puis les corps gras permettent de lier la préparation et faciliter l’application : des huiles végétales pour un effet roll-on, un beurre végétal pour l’application au doigt ou en stick, voire l’ajout de cire pour mieux solidifier le produit. Enfin, pour limiter les mauvaises odeurs, on peut retrouver du charbon qui va capter les molécules odorantes, de l’oxyde de zinc qui limite la prolifération des bactéries responsables de ces mauvaises odeurs ou encore quelques gouttes d’huiles essentielles, qui non seulement neutralisent les bactéries mais ajoutent, en plus, une fragrance parfumée.

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À propos de l'autrice
Elodie Lapierre
Rédactrice spécialisée en santé environnementale
Titulaire d’un Master Méthodes de Recherche en Environnement, Santé et Toxicologie, Elodie a à cœur d’informer et de sensibiliser aux idées reçues afin de permettre à chacun et chacune de faire des choix éclairés.

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